En juillet 2024, les chercheurs relâcheront dans le golfe de Gascogne dix jeunes caouannes réhabilitées, équipées de balises satellites miniaturisées permettant de suivre leurs déplacements. Une tortue a été suivie pendant plus d’une année entière, ce qui constitue un record pour des tortues de cette taille. Mené par Upwell, l’Aquarium de La Rochelle et Mercator Ocean International, le projet révèle de nouvelles perspectives sur les premières années méconnues des tortues de mer.

Tortues juvéniles dans le golfe de Gascogne : Du sauvetage à la traque
En juillet 2024, dix jeunes tortues caouannes ont quitté les soins du Centre d’étude et de soins des tortues marines (CESTM) de l’Aquarium de La Rochelle et ont été renvoyées en pleine mer dans le golfe de Gascogne. Chaque tortue a été équipée d’une balise satellite miniaturisée, pas plus grosse qu’une pièce de monnaie, pour suivre ses déplacements. L’une des tortues marines, baptisée Charles Darwin par les chercheurs, est entrée dans l’histoire en transmettant une année entière de données de suivi, soit le plus long enregistrement jamais réalisé pour une tortue de cette taille (environ 15 à 20 centimètres).
Cette publication s’inscrit dans le cadre de l Initiative des années perdues un programme mondial de collaboration dirigé par l’ONG américaine Upwell. L’initiative implique des organisations de nombreuses régions du monde, dont le Japon, l’Afrique du Sud, la Thaïlande et les Açores, le CESTM et Mercator Ocean International étant des partenaires clés en France. Le programme vise à faire la lumière sur les « années perdues » des tortues marines, c’est-à-dire la période mal observée entre le départ d’un nouveau-né de sa plage natale et son retour dans les zones côtières à l’âge adulte ou subadulte pour s’alimenter ou se reproduire. Au cours de ces premières années, les tortues sont portées par les courants océaniques tout en cherchant de la nourriture et une température d’eau appropriée, et en évitant les prédateurs, effectuant des mouvements et des migrations qui étaient, jusqu’à récemment, presque impossibles à suivre.
Le golfe de Gascogne, où les tortues réhabilitées ont été relâchées, offre un exemple des défis auxquels sont confrontées les jeunes tortues. Cette baie est une zone très productive tout au long de l’année, les rivières apportant des nutriments qui entretiennent une vie marine abondante et offrent de riches possibilités d’alimentation aux jeunes tortues de mer. Alors qu’en été, les températures de l’eau sont douces dans la région, en hiver, la température de l’eau de mer peut descendre jusqu’à 10°C, ce qui provoque chez les tortues un « étourdissement par le froid », un état dans lequel elles perdent leur mobilité et risquent de s’échouer sur le rivage, mettant leur vie en danger. Le travail de sauvetage et de réhabilitation du CESTM donne une seconde chance à ces tortues, et l’installation de balises satellites, fixées en toute sécurité sur leur carapace avant d’être relâchées, transforme leurs voyages en données scientifiques précieuses.
Les balises, spécialement conçues pour être légères et robustes, transmettent la position de la tortue aux chercheurs dès qu’elle atteint la surface de la mer, ce qui permet aux scientifiques de suivre les spécimens pendant plusieurs mois. Chaque nouveau point de données contribue à une meilleure compréhension des années perdues en mer par les jeunes tortues. Ces connaissances permettent à leur tour d’élaborer des stratégies de conservation plus ciblées et plus efficaces.


Figure 2. Après avoir installé les petits traceurs satellites sur leur carapace (à gauche), les tortues marines juvéniles sont relâchées dans l’océan (à droite). Crédit : Aquarium La Rochelle.
Aperçu d’une année de suivi des tortues juvéniles
Les dix tortues relâchées en 2024 ont pris des chemins très différents. Certaines tortues, dont Nicolas Copernic, Charles Darwin et Galilée, se sont dirigées vers le sud dans l’Atlantique Nord ouvert, certaines atteignant des zones situées entre le Portugal continental et les Açores et traversant des régions fréquentées par des navires de pêche et le trafic maritime. En revanche, l’ Archimède est resté dans le golfe de Gascogne, se déplaçant principalement le long du plateau espagnol où les eaux sont légèrement plus chaudes.

Certaines des tortues étaient également équipées d’instruments mesurant la profondeur à laquelle elles se trouvaient, ce qui a permis de mieux comprendre leur comportement. La plupart des tortues suivies sont restées près de la surface, dans les cinq premiers mètres de la colonne d’eau, avec parfois des plongées plus profondes.

Bien que les données d’ Archimèdene concernent qu’un seul spécimen et ne puissent être représentatives de l’ensemble de l’espèce, sa trajectoire permet de mieux comprendre comment une tortue juvénile interagit avec son environnement pendant de longues périodes et dans des conditions océaniques changeantes.
Pour les scientifiques, ces enregistrements prolongés permettent de répondre aux questions de savoir si le golfe de Gascogne sert d’habitat tout au long de l’année, de refuge saisonnier ou d’endroit qui peut devenir défavorable dans certaines conditions. Ces enregistrements fournissent également aux modèles numériques de meilleures données à comparer avec les prévisions, améliorant ainsi la capacité à prédire le comportement des tortues juvéniles dans différentes conditions océaniques.
Relier le suivi des tortues de mer aux connaissances océanographiques : le rôle de Mercator Ocean International
Cependant, les données de localisation ne peuvent à elles seules expliquer pourquoi les tortues choisissent certains itinéraires ou certaines zones. Pour répondre à ces questions, les chercheurs ont placé chaque position dans une reconstruction détaillée de l’état de l’océan au moment et à l’endroit précis de chaque transmission, en combinant des informations sur la température, la hauteur de la surface de la mer et la bathymétrie. Mercator Ocean International fournit ces analyses et prévisions océaniques, qui sont intégrées aux données de suivi recueillies auprès des tortues marines. Cette approche combinée permet d’étudier comment les courants peuvent influencer les mouvements des tortues, comment la température façonne leur distribution et où les eaux productives peuvent offrir des possibilités d’alimentation. Les mêmes ensembles de données peuvent également mettre en évidence les zones où les chemins des tortues se croisent avec les activités humaines.
En réunissant le travail de réhabilitation du CESTM, l’expertise d’Upwell en matière de marquage et les données sur les océans de Mercator Ocean International, le projet relie directement les opérations de sauvetage à la recherche scientifique et informe la planification de la conservation.
Mercator Ocean International a mené et contribué à de multiples études combinant le suivi par satellite et la modélisation océanographique, y compris des travaux récents révélant l’ activité de nage des tortues caouannes juvéniles du Pacifique. Ces études ont permis de mieux comprendre les années perdues par les tortues marines.
Prochaines étapes
Le 30 juin 2025, le travail s’est poursuivi avec un nouveau groupe de neuf jeunes caouannes réhabilitées et relâchées à La Rochelle. Chaque tortue est équipée d’une balise microsatellite. Les données collectées permettront d’améliorer la capacité à identifier les schémas de migration saisonnière, les habitats préférés et l’exposition potentielle aux risques liés à l’activité humaine.
En continuant à intégrer les capacités d’analyse et de prévision océaniques de Mercator Ocean International au suivi par satellite, l’initiative transforme le voyage de chaque tortue en un ensemble de données précieuses qui peuvent informer les modèles prédictifs du mouvement des juvéniles. Ces modèles fournissent des connaissances exploitables pour la planification de la conservation du milieu marin sur une base scientifique. Alors que les tortues nouvellement relâchées entament leur migration, le partenariat entre Upwell, l’Aquarium de La Rochelle et Mercator Ocean International garantit que leur suivi contribue à une image plus claire des années perdues par les tortues et des environnements dynamiques qui les influencent.

Ressources complémentaires
- Pour en savoir plus sur le projet « Lost Years » : https://www.upwell.org/unraveling-the-mysteries-of-the-lost-years
- Obtenez un aperçu des résultats après un an de suivi : https://www.upwell.org/news/2025/6/6/loggerheads-in-the-bay-of-biscay-and-beyond
- Accédez à l’article complet sur la contribution des étiquettes microsatellites à la compréhension des « années perdues » des tortues, dirigé par Tony Candela et publié sur le site Animals : https://www.mdpi.com/2076-2615/14/6/903